Juridiquement, la pharmacie constitue un fonds de commerce comme un autre. C’est une universalité juridique dans laquelle on retrouve des éléments matériels (les outils de production) et des éléments immatériels (la clientèle, l’enseigne, le droit au bail, etc.) nécessaires au pharmacien pour l’exploitation de son officine.

Toutefois, l’opération de cession d’un fonds de commerce d’officine de pharmacie est une opération plus complexe que celle d’un fonds de commerce habituel. Cela découle de l’existence d’une législation particulière en matière pharmaceutique, qui encadre strictement à la fois les règles d’implantation d’une officine de pharmacie (qui doit faire l’objet d’une licence délivrée par l’ARS – Agence Régionale de Santé) et les règles autorisant l’exercice de la profession de pharmacien (exigence d’un diplôme d’État, inscription préalable à l’Ordre, etc.).

Tour d’horizon sur les conditions particulières propres à cette cession spécifique, l’officine de pharmacie.

Le choix de l’emplacement

Ouvrir une pharmacie suppose d’abord de trouver un local. Cela n’est pas si simple, du fait de la réglementation spécifique qui s’applique sur ce point.

L’ouverture d’une pharmacie peut résulter de l’une des trois opérations suivantes :

  • la création d’une nouvelle officine,
  • le transfert d’une officine existante
  • ou le regroupement de deux ou plusieurs officines.

Toutefois, contrairement aux autres professions médicales gouvernées par le principe de la liberté d’installation, les officines ne peuvent être créées qu’à certaines conditions, prévues par l’ordonnance n° 2018-3 du 3 janvier 2018.

La loi autorise ainsi la création d’une officine en fonction de critères liés à la densité de population, à la localisation et à l’accessibilité du local notamment. L’autorisation est délivrée par l’Agence Régionale de Santé (ARS) après avis de l’Ordre National des Pharmaciens et des syndicats.

Les seuils démographiques minimums requis pour permettre l’implantation d’une officine sont les suivants : une officine par tranches de 2.500 habitants (3.500 habitants en Guyane, Moselle et Alsace) et une officine par tranche de 4.500 habitants supplémentaires.

L’officine doit satisfaire plusieurs critères : accessibilité des locaux (visibilité, places de stationnement, aménagement piétonnier, desserte par les transports en commun), conformité des locaux et présence d’une population résidente à desservir. Elle doit répondre aux normes d’accessibilité pour les personnes handicapées et à un certain nombre de caractéristiques s’agissant de l’organisation du local, avec délimitation des zones d’accès à la clientèle et des zones de préparation et de stockage des médicaments notamment.

L’ensemble de ces règles spécifiques conditionnant la création de nouvelles officines expliquent pourquoi il est en général nettement plus facile pour un pharmacien désireux de s’installer d’opter par l’acquisition d’une officine existante que de faire le choix d’une création de fonds.

La valorisation de l’officine de pharmacie : détermination du prix de cession

C’est une étape cruciale de la cession de tout fonds de commerce : l’estimation de son prix de vente.

Il existe un certain nombre de méthodes financières permettant l’évaluation d’un fonds de commerce. Les plus connues sont les suivantes :

  • La méthode des barèmes, qui consiste à fixer le prix en fonction d’un coefficient multiplicateur appliqué au chiffre d’affaires du fonds. Le plus connu est celui édité par les éditions Francis Lefèbvre (à titre d’exemple, le barème en vigueur en 2020 pour les pharmacies est situé entre 60 et 120% du chiffre d’affaires annuel HT, soit un barème moyen de 90% environ).
  • On peut également valoriser le fonds de commerce en fonction de sa rentabilité, en se basant essentiellement sur son résultat d’exploitation. C’est souvent la méthode utilisée par les banques, car elle permet d’évaluer la capacité de remboursement de l’emprunt souscrit par l’entreprise.
  • On peut enfin procéder par voie de comparaison, en comparant la pharmacie objet du projet de vente à d’autres affaires similaires qui se sont vendues sur le même secteur et à la même période. C’est la méthode la plus simple, même si elle peut parfois s’avérer trompeuse sur certains points (chaque fonds, chaque officine revêt en effet sa propre spécificité, liée à son emplacement particulier, l’organisation du local, son état au moment de la vente, etc.).

En tout état de cause, il est vivement conseillé de ne pas se limiter à une seule méthode, mais d’en utiliser plusieurs afin de retenir le résultat moyen qui se dégage de chacune d’elle pour fixer le prix.

Surtout, pour obtenir une valorisation fiable, on ne pourra pas se limiter à une approche purement financière et comptable. Il conviendra de pondérer cette analyse financière en tenant compte des caractéristiques de l’officine de pharmacie considérée.

D’une manière générale, les principaux critères de pondération utilisés pour estimer un fonds de commerce sont notamment :

  • La forme du local, ses caractéristiques, son organisation ;
  • L’état du local, les éventuels travaux d’aménagements à prévoir ;
  • Sa localisation géographique ;
  • Les droits et obligations des parties au bail et notamment la ventilation des charges entre le bailleur et le locataire, la durée restant à courir et les éventuels risques de déplafonnement du loyer ;
  • Le nombre de salariés s’il en existe ;
  • La clientèle ;
  • La conjoncture économique ;
  • Bien évidemment, la valeur locative du marché considéré (en fonction là encore de critères géographiques notamment et des disparités existant d’une région à une autre notamment).

Bail commercial ou acquisition des murs

Sur ce point, deux situations doivent être distinguées lors de l’acquisition : l’acquéreur de l’officine procède-t-il dans le même temps à l’acquisition des murs, ou bien devient-il titulaire d’un bail commercial ?

Si l’acquéreur devient titulaire d’un bail commercial, il est impératif de procéder à une analyse préalable et minutieuse des clauses du contrat. Un bail commercial renferme en effet de multiples spécificités et pièges pour le locataire.

En premier lieu, il conviendra de vérifier les clauses applicables en cas de cession, notamment si l’accord du propriétaire est requis dans cette hypothèse. On analysera bien évidemment le montant du loyer en le comparant à la valeur locative du marché et en s’assurant qu’il n’existe pas de risque de déplafonnement trop important à venir (notamment si le bail est ancien et sur le point d’être renouvelé). On vérifiera la ventilation des charges entre bailleur et locataire. On procédera surtout à une analyse minutieuse de la durée restant à courir du bail en s’assurant qu’il n’ait pas fait l’objet d’une tacite reconduction (ce qui signifierait la perte de la stabilité locative pour le locataire qui pourrait se voir évincer à tout moment par le propriétaire).

Il est primordial de se faire assister d’un conseil juridique aguerri pour ce type de vérifications.
Si l’acquéreur devient propriétaire des murs, on procédera à l’ensemble des analyses liées à l’immeuble (son état, les éventuelles charges de copropriété applicables, etc.). Surtout, l’acquéreur devra s’interroger sur le montage juridique optimal et la question de savoir s’il est plus pertinent d’intégrer les murs à l’exploitation, ou de les affecter à son patrimoine personnel (le plus souvent par la création d’une SCI).
Une analyse patrimoniale et fiscale préalable du patrimoine de l’acquéreur devra souvent s’imposer sur ce point, afin d’optimiser le montage.

Préparation des actes de vente

Après s’être mises d’accord entre elles sur le prix de cession, les parties vont devoir formaliser leur accord, à travers deux actes successifs : la promesse (ou compromis) de vente, puis, si tout se passe comme prévu, l’acte définitif de vente.

Plusieurs points doivent être anticipés :

  • Le personnel tout d’abord : les contrats de travail sont automatiquement cédés avec le fonds de commerce. C’est une obligation légale qui découle de l’article L. 1224-1 du Code du travail. L’acquéreur devra donc anticiper la masse salariale dans le cadre de son projet de reprise et bien étudier l’ensemble des contrats de travail, qui seront annexés à la promesse et à l’acte de vente final.
  • Le stock et les marchandises : il est de coutume de les reprendre dans le cadre d’une cession de fonds de commerce. Toutefois, juridiquement ces éléments ne font pas partie des éléments constitutifs du fonds. Il faudra donc prévoir une clause spécifique dans l’acte de vente, avec un prix séparé (qui sera assujetti à la TVA), et des modalités d’évaluation des stocks entre les parties.

À l’exception des contrats dont la loi impose la transmission légale (contrat de travail et contrat d’assurance, même si pour ce dernier l’acquéreur a la faculté de le résilier), il n’y a pas d’obligation de reprise des autres contrats en cours.

Mise en place des conditions suspensives préalables à la vente

Il est impératif que la vente soit précédée d’un compromis (ou d’une promesse de vente) à l’occasion duquel les parties vont pouvoir insérer une série de conditions suspensives particulièrement importantes.

Les principales sont les suivantes :

  • Condition suspensive règlementaire : en cas de rachat d’une officine, le pharmacien n’a pas à solliciter de licence. Il doit en revanche demander son inscription au tableau de l’Ordre des pharmaciens, faire enregistrer son diplôme et sa déclaration d’exploitation. Par conséquent, l’acte de vente comportera nécessairement cette condition suspensive réglementaire préalable.
  • Condition suspensive liée au financement : Si l’acquéreur entend financer l’opération d’acquisition par un crédit bancaire, les parties devront, au stade de la promesse, conditionner l’opération à l’obtention du crédit nécessaire. À cet égard, les parties veilleront à bien encadrer la clause (montant du crédit sollicité, durée de l’emprunt, etc.) afin d’éviter tout risque de contentieux à ce sujet dans l’hypothèse où l’acquéreur se verrait refuser le concours bancaire nécessaire.
  • Purge préalable des droits de préemption : les parties veilleront à conditionner la cession à la purge préalable des éventuels droits de préemption applicables (on pense notamment au droit de préemption des communes prévu par les articles L. 214-1 et suivants du Code de l’urbanisme, ou encore à l’éventuel pacte de préférence que pourrait renfermer le bail au profit du bailleur).
  • Information préalable des salariés : s’il existe des salariés, les parties devront s’être assurées de les avoir préalablement informés du projet de cession, conformément aux articles L. 141-23 et suivants du Code de commerce.

Une fois l’ensemble des conditions suspensives levées, on pourra procéder la signature des actes définitifs de vente.

À noter : l’article L. 5125-14 du Code de la santé publique dispose clairement que la convention relative à la propriété d’une officine doit impérativement être constatée par écrit et communiquée à l’Ordre des Pharmaciens ainsi qu’au siège de l’ARS :
« Aucune convention relative à la propriété d’une officine n’est valable si elle n’a été constatée par écrit. Une copie de la convention doit être déposée au conseil régional de l’ordre des pharmaciens et au siège de l’agence régionale de santé ».

Formalités postérieures à la cession

Une fois l’acte définitif de vente signé, les formalités liées à la cession du fonds de l’officine de pharmacie sont nombreuses. Elles diffèrent selon la partie en cause, acquéreur ou cédant.

Côté acquéreur : il sera tenu d’enregistrer la cession et de payer les droits d’enregistrement, dans un délai d’un mois à partir de la date de l’acte de cession, ou de la date d’entrée en possession du fonds si celle-ci est antérieure à la date de l’acte.
Les montants des droits d’enregistrement sont les suivants : exonération jusqu’à 23.000 euros, 3% sur la tranche de 23.000 à 200.000 euros, puis 5% au-delà de 200.000 euros.

Côté cédant : ce dernier devra clôturer ses comptes, procéder aux déclarations fiscales afférentes (chiffre d’affaires, TVA, etc.) et, s’il arrête son activité, demander sa radiation auprès du Centre de Formalités des Entreprises (CFE).
La cession de l’officine de pharmacie doit également, comme tout fonds de commerce, faire l’objet d’un certain nombre de publicités destinées à informer les tiers et garantir les droits des créanciers.
Elle doit ainsi être publiée dans un journal d’annonces légales dans les 15 jours de l’acte de cession.

L’acquéreur doit par ailleurs se rapprocher du greffe du tribunal de commerce, dans un délai de 3 jours, afin que celui-ci procède à la publication d’un avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC).
Cette publication fait courir un délai de dix jours pendant lequel les créanciers peuvent faire opposition.

Enfin, l’acquéreur de l’officine de pharmacie, comme l’acquéreur de tout fonds de commerce, sera responsable solidairement avec le vendeur du paiement de certains impôts liés aux résultats d’exploitation du fonds de commerce, pendant une période légale de 90 jours.

Exceptionnellement, cette période de solidarité fiscale peut être réduite à 30 jours lorsque les conditions suivantes sont réunies :

  • l’avis de cession du fonds de commerce a été adressé à l’administration fiscale dans les 45 jours suivant la publication de la vente au journal d’annonces légales ;
  • la déclaration des résultats a été déposée dans les 60 jours suivant la publication de la vente au journal d’annonces légales ;
  • au dernier jour du mois qui précède la vente, le vendeur est à jour de ses obligations fiscales déclaratives et de paiement.

C’est pourquoi, afin que l’acquéreur ne prenne aucun risque dans le cadre de l’achat d’un fonds de commerce, le prix de vente doit impérativement être séquestré pendant toute cette période de solidarité fiscale.
La mission du séquestre sera le plus souvent effectuée par un avocat, sous sa responsabilité professionnelle. La durée de blocage des fonds et les modalités de la mission du séquestre doivent être précisées dans le contrat de cession.

Validation de l’Ordre des Pharmaciens

Afin que l’opération soit valable, rappelons que l’acquéreur devra impérativement déposer un dossier complet au Conseil Régional de l’Ordre des Pharmaciens dans le ressort territorial duquel est située l’officine afin de solliciter son inscription au tableau.

Le dossier d’inscription doit contenir a minima les pièces suivantes :

  • La photocopie d’une pièce d’identité en cours de validité ou l’attestation de nationalité délivrée par une autorité compétente.
  • La copie du diplôme français d’Etat de docteur en pharmacie ou du diplôme français d’Etat de pharmacien (ou du certificat provisoire).
  • Une déclaration sur l’honneur dont les stipulations sont à reproduire (modèle fourni par l’Ordre).
  • La copie du certificat de radiation d’inscription ou d’enregistrement délivré par l’autorité auprès de laquelle le demandeur était préalablement inscrit ou enregistré, ou, à défaut une déclaration sur l’honneur du demandeur certifiant qu’il n’a jamais été inscrit ou enregistré, ou, à défaut, un certificat d’inscription ou d’enregistrement dans un Etat membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen.
  • Le curriculum vitae.
  • Le formulaire de « Demande d’inscription ou de modification d’inscription au tableau de la Section A de l’Ordre des pharmaciens – Pharmaciens titulaires d’officine » dûment complété (imprimé téléchargeable sur le site www. ordre.pharmacien.fr).
  • En fonction de la structure choisie (SPFPL, SEL, etc.), certains documents complémentaires peuvent s’avérer nécessaires (comme la communication des statuts). L’ensemble des documents et informations utiles sur ce point sont disponibles sur le site de l’Ordre National des Pharmaciens.

Baptiste Robelin – Avocat – Droit des affaires

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Les spécificités de la cession d’un fonds de commerce d’officine de pharmacie