La loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020, publiée au Journal officiel le 15 novembre, contient de nouvelles mesures relatives aux loyers et charges des baux commerciaux et professionnels. Ces mesures ressemblent en grande partie à celles qui avaient été mises en place lors du premier confinement, par ordonnance du 15 mars 2020 n° 2020-316.
Le grand principe reste le même : si le paiement des loyers et charges restent dus par les locataires exploitants pendant la période de fermeture administrative, aucune sanction ne trouve à s’appliquer en cas de défaut de paiement.
L’article 14 de la loi prévoit ainsi que les personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative
« ne peuvent encourir d’intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d’exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée ».
Le dispositif entre en vigueur rétroactivement à compter du 17 octobre 2020 et doit rester en vigueur jusqu’à deux mois à compter du jour où la mesure de police administrative a pris fin : comprenons, deux mois après la réouverture de l’entreprise.
La loi prévoit que les critères d’éligibilité du dispositif seront précisés par décret, déterminant les seuils d’effectifs et de chiffre d’affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d’affaires constatée du fait de la mesure de police administrative.
S’il faut patienter pour connaître les modalités précises d’application, on pense qu’il s’agira vraisemblablement des mêmes critères que lors du premier confinement (pour rappel, étaient notamment éligibles les entreprises réalisant moins d’1 million d’euros de chiffre d’affaires, moins de 60 000 euros de bénéfices imposables et ayant un effectif inférieur ou égal à 10 salariés).
Enfin, le dispositif vise bien évidemment les entreprises contraintes de rester fermés pendant le confinement (commerces non-essentiels, cafés, bars restaurants, etc.).
Comme l’ordonnance du 25 mars 2020, le texte indique que ces mesures s’appliquent également aux sûretés : « Pendant cette même période, les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en œuvre ». Ces dispositions sont bienvenues dans la mesure où les dirigeants sont le plus souvent caution personnelle de leur entreprise.
Toutefois, le dispositif va même plus loin que l’ordonnance de mars 2020 puisqu’il est indiqué que le bailleur ne peut pas non plus initier de « mesures conservatoires » pour les loyers couverts par la période de protection juridique. On sait que les praticiens s’étaient émus pendant le premier confinement de la faiblesse du dispositif relatif aux loyers, puisque le bailleur pouvait parfaitement initier une saisie conservatoire en cas d’impayés. Dans la mesure où ce type de saisie peut être initiée sans accord du Juge (L511-2 Code des procédures civiles d’exécution), les bailleurs continuaient à disposer d’armes procédurales efficaces pour se prémunir en cas d’impayés. Ce ne sera plus le cas cette fois-ci.
De la même manière, le dispositif indique que « les procédures d’exécution qui auraient été engagées par le bailleur à l’encontre du locataire pour non-paiement de loyers ou de charges locatives exigibles sont suspendues » pendant la période de protection juridique. La protection est ici encore renforcée par rapport au dispositif de mars 2020, avec une paralysie de l’ensemble des mesures d’exception.
A notre sens, un doute demeure toutefois sur ce point : cette inefficacité des mesures d’exécution concerne-t-elle uniquement les loyers dus à compter du 17 octobre 2020 (date d’entrée en vigueur du dispositif) ou bien y compris des loyers échus avant l’entrée en vigueur du dispositif, pour lesquels les bailleurs auraient initié des mesures d’exécution après le 17 octobre 2020 ?
Dans le deuxième cas, il s’agirait véritablement d’une forme de trêve hivernale offerte aux exploitants pendant toute la durée du confinement et jusqu’à deux mois après, peu important la date concernée par les impayés locatifs.
Ainsi, si le Gouvernement n’a pas la possibilité d’ordonner la suspension du paiement des loyers, dans la mesure où le bail est un contrat de droit privé auquel l’Etat est étranger, la stratégie poursuivie est double :
D’un côté, inciter les bailleurs à consentir des exonérations de loyer avec un dispositif fiscal incitatif : c’est désormais jusqu’à 50% de crédit d’impôt qui sera alloué aux bailleurs consentant à ces exonérations ;
D’un autre côté, décourager les bailleurs récalcitrants à s’engager dans une procédure judiciaire, en paralysant l’efficacité de ces procédures et des mesures d’exécution.
Clairement, ces dispositifs d’exception offrent des marges de manœuvre procédurales intéressantes pour les locataires, qui ne devront pas hésiter à s’engager dans un bras de fer judiciaire avec les bailleurs récalcitrants.
Baptiste Robelin – Avocat – Droit des affaires